La situation macro-économique et
sociale
La publication des chiffres de la
croissance au quatrième trimestre 2012 a paradoxalement à leur caractère
alarmant provoqué très peu de débats et de prises de position en Allemagne.
Pourtant, avec un recul de - 0,6%, la
dégradation de la conjoncture est 0,2% plus mauvaise que prévu en décembre, et
encore 0,1% par rapport à des corrections établies en janvier.
Tous les observateurs ont décidé de se
rallier à l'explication officielle de l'institut des statistiques
gouvernementales, le DIW : le dernier trimestre 2012 a vu un gros trou d'air
sans conséquence. Le climat des affaires s'est depuis amélioré, avec l'indice de
confiance des entrepreneurs ayant progressé ces derniers trois mois, les mesures
prises de consolidation budgétaire en Europe vont porter leurs fruits en 2013,
relançant les exportations allemandes vers ses partenaires européens, et la
croissance du commerce mondial va reprendre son ampleur de 2011, achevant de
tirer vers le haut la conjoncture allemande.
C'est ce narratif que montre le
tableau suivant :
Évolution du PIB Allemand depuis 2008 et perspectives pour 2013, en indice 100 = 2005, et en PIB corrigé de l'inflation:
Pourtant, beaucoup des
suppositions attachées à ce narratif macro-économique ont été
infirmées :
Le recul de la croissance en
Eurozone à 0,6% est plus fort que prévu, avec les pays les plus touchés par les
politiques de consolidation budgétaire plongeant toujours aussi rapidement
(Grèce – 6%, Portugal -3,2%, Italie -0,9%) et l'économie française – toujours
premier importateur de biens allemands - avec un recul de 0,3% et une
croissance nulle en 2012 ne donne pas de signes de frémissements. Au contraire,
l'objectif annoncé de 3% de déficit budgétaire est maintenant clairement
illusoire, à moins que le gouvernement Ayrault et son ministre Moscovici ne
prennent des mesures de consolidation budgétaire encore plus radicales, touchant
plus fortement les dépenses. Le coup à la croissance – et donc aux importations
d'Allemagne – serait fatal.
Si Francois Hollande montre depuis
quelques jours une volonté plus forte de réorienter le priorité gouvernementale
sur l'emploi et l'économie, notamment après la phase sociétale et le Mali, il
n'est pas sûr que son équipe gouvernementale soit outillée doctrinalement et
techniquement pour lancer un plan de relance, mettant donc encore en péril ce
narratif du gouvernement allemand.
Par ailleurs, les projections sur
le commerce mondial dépendent en grande partie d'externalités encore bien
incertaines : les évolutions des économies américaines et chinoises.
Pour mémoire, les mêmes
statisticiens avaient le narratif suivant en décembre 2011 :
Un trou d'air en Q4 2011 fut tout simplement oublié, les perspectives sur 2012 étaient positives avec une amélioration progressive et constante de la conjoncture. 2012 a vu en réalité l'inverse : après un rebond au premier trimestre, la conjoncture ne cessa de se dégrader.
Le narratif du DIW, soutenu par
les économistes d'Allianz et des instituts proches du patronat ressemblent donc
bien à des vœux (auto-prophétiques?) plus qu'à une analyse sérieuse des risques
pour l'Allemagne en 2013.
D'ailleurs, les nouvelles fin
Janvier – début Février montrent bien qu'un moteur de croissance s'est cassé.
Alors que l'Allemagne avait été jusque là épargnée, une vague de plans de
licenciements massifs ont été annoncés ces derniers temps :
- La filière solaire, sinistrée, a perdu plus de 30 000 emplois en
2012
- La filière des services, malgré des salaires très faibles et l'absence
de SMIC, a vu disparaître plusieurs groupes de distribution – par exemple
Schlecker avec ses 5000 salariés, à 90% femmes à temps partiels.
- Le secteur des NTIC est aussi touché : HP ferme un site avec 1000
emplois supprimés, Dell également. Fujitsu Technology, l'ancien Fujitsu-Siemens
et héritier de Siemens-Nixdorf, annonce 1500 suppression d'emplois.
- Siemens annonce la vente ou la fermeture de plusieurs divisions, dont
celle solaire, et prés de
10 000 suppressions de postes à
l'international.
- Le secteur automobile est à son tour touché, avec Opel devant fermer un
site industriel.
- Thyssen-Krupp annonce au moins 2000 suppressions d'emplois
- Ces vagues annoncent aussi une réduction des investissements et des
négociations plus serrées avec le réseau de PME familiales fournisseuses : toute
une série de ses entreprises entre 500 et 5000 salariés annoncent des
restructurations avec suppression de postes depuis trois mois.
- Tous les vendeurs de biens d'équipement, informatiques ou non,
remarquent aussi un allongement de la durée d'utilisation des équipements au
delà des dates de garantie et/ou d'amortissements afin de retarder le
renouvellement des parcs, et un assèchement des investissements
publics.
- Par ailleurs, de nombreuses renégociations salariales de branche ont
commencé, et l'arme des licenciements est employée par les patronats contre les
syndicats pour obtenir des accords de modération salariale, plombant encore plus
les perspectives de croissance de la demande intérieure.
- Enfin, quasiment toutes les entreprises ont actuellement des plans de
gel des embauches, ne recrutant que des profils très spécialisés à l'occasion de
remplacements.
Cette phase de restructuration
n'est pas une réponse à un trou d'air conjoncturel. L'arme du chômage partiel
avec compensation salariale payée par l'agence de l'emploi aux salariés n'est
cette fois pas utilisée, les entreprises ne prévoyant elles pas de retour de la
croissance à court terme. Nous ne sommes donc pas dans une situation comparable
à 2008.
Il s'agit de transformations
profondes des entreprises, à l'occasion d'un effondrement de leurs carnets de
commande, d'une transformation de leurs marchés. Les plans entrainent aussi une
augmentation de l'épargne de précaution des ménages. La demande intérieure ne
prendra pas le relais des investissements privés, ni des dépenses publiques en
baisse.
La tendance est claire pour
l'économie allemande en 2013, elle va vers le bas. On en saura cependant plus le 22 Février avec la publication de l'indice de confiance des industriels allemands.
Ce tableau montre à gauche (bleu)
l'évolution comparée des revenus nominaux (hors inflation) du capital (en haut,
valeur 150,6 en index 100 = 2000 fin 2012) et du travail (en bas, valeur 123,8
en index 100 = 2000 fin 2012).
Le tableau de droite (rouge)
montre l'évolution des salaires bruts réels (corrigés de l'inflation, base 100 =
2000), avec en haut le sous-groupe des salaires soumis à accords de branche et
en bas l'intégralité des salaires, y compris ceux soumis à accords de
branche.
L’Allemagne bénéficie encore d'une situation du marché de l'emploi enviable, avec un taux officiel de chômage à 6,5% en Décembre. Cependant, cette situation est marquée par des déséquilibres régionaux très forts, expliquant en partie les difficultés de Merkel avec son allié catholique bavarois, la CSU. De plus, les chiffres bruts de Janvier montrent une dégradation forte avec 288 000 chômeurs de plus, avec un taux repassant au dessus de 7%. Certes, les chiffres corrigés de variations saisonniéres sont plus encourageants.
Tableau suivant : plus c'est
fuchsia, moins il y a de chômage.
Le tableau suivant, produit par les organisations caritatives paritaires (regroupant toutes les organisations, issues des églises et laïques) en 2012, montre l'évolution de la pauvreté en Allemagne depuis 2005. Alors que le taux de chômage passe de 11,7% à 7,1% (maintenant 6,5%) et le taux de bénéficiaires d'allocations chômage de 10,3 à 9,8%, le taux de pauvreté a augmenté de 14,7% à 15,1%, avec une accélération depuis 2010.
Voici le tableau des derniers sondages par instituts et dates de publication
Le Sud de l'Allemagne bénéficie
d'un quasi-plein emploi à 3% de chômage, l'Ouest est dans la moyenne avec des
zones cependant sinistrées, notamment dans les bassins miniers rhénans, et l'Est
– incluant Berlin, région au plus fort taux de chômage d'Allemagne – dépasse en
général les 10%.
Le taux d'Actifs touchant des
allocations chômage et/ou sociales atteint ainsi les 9,8% - de nombreux
salariés, par exemple de mini-jobs, ont besoin d'allocations chômage pour
atteindre le niveau de revenu de Hartz IV – l'équivalent du RSA français. Ces
emplois sont subventionnés par le système d'assurance chômage.
Ces chiffres cependant ne prennent
pas en cause toute la population en âge de travailler non répertorié comme
actifs. Le taux d'inactivité en Allemagne de l'Est et dans les bassins de
pauvreté rhénans frôle les 20 à 25%. Le taux de pauvreté d'ailleurs augmente
depuis 6 ans avec constance. Une étude récente d'un institut proche des
organisations caritatives soulignait que prés d'un salarié sur six était sous la
menace un jour de passer sous le seuil de pauvreté.
Le tableau suivant, produit par les organisations caritatives paritaires (regroupant toutes les organisations, issues des églises et laïques) en 2012, montre l'évolution de la pauvreté en Allemagne depuis 2005. Alors que le taux de chômage passe de 11,7% à 7,1% (maintenant 6,5%) et le taux de bénéficiaires d'allocations chômage de 10,3 à 9,8%, le taux de pauvreté a augmenté de 14,7% à 15,1%, avec une accélération depuis 2010.
C'est de nouveau la confirmation
que la « thèse de la cascade » ne fonctionne pas : la prospérité ne redescend
pas lorsqu'on la partage par le haut. Pire, même des politiques ayant eu pour
objet de réduire le chômage à tout prix pour augmenter les conditions de vie en
bas de l'échelle sociale échouent.
La situation est tellement grave
que le gouvernement de Angela Merkel, sous la pression des libéraux, a retardé
la publication de son rapport officiel sur la pauvreté et en a censuré certaines
conclusions.
Suivant maintenant une logique
bien rodée, alors que c'est bien la méthode de gouvernement d'Angela Merkel qui
est en cause, l'opprobre tomba sur d'autres, ici le ministre de l’Économie et
chef nominal des libéraux Philip Rösler.
Cependant, ces données expliquent
pourquoi le SPD et Peer Steinbrück souhaitent mettre la Justice Sociale au cœur
de la campagne (cf note sur le congrès de décembre 2012 en annexe. La note sur
le congrès de 2011 est également attachée en référence).
La Politique de la Famille
au cœur des critiques :
Le grand sujet politique des
derniers jours fut la politique de la famille. Un rapport administratif
d'évaluation des politiques publiques a souligne l'échec complet et l'incroyable
gaspillage des politiques familiales, qui promeut a la fois une vision passéiste
de la famille, traditionnelle de la place de la femme, et inégalitaire
socialement. Et l'échec démographique est également patent, a l'origine de la
reforme de l'âge de départ a la retraite a 67 ans, reforme co-conçue par Peer a
l'époque de la Grande Coalition et depuis remise en cause par le SPD sous la
pression de son aile gauche (PL, parlementarische Linke, gauche parlementaire,
le sous-groupe de 23 députés au sein du SPD a avoir vote contre le TSCG et a
avoir signe la contribution UMA a mon initiative en juillet dernier).
Ce sujet a pousse les libéraux, pourtant allies de Merkel mais menaces de disparaitre du parlement, a annoncer vouloir faire campagne contre "la prime au fourneau", une reforme votée sous l'instigation des catholiques bavarois visant a payer les mères pour ne pas aller travailler mais s'occuper de leurs enfants. Le financement de cette prime asséché encore le budget d'investissement en crèches et emplois d'assistants maternels-éducateurs.
juste un exemple: un dégrèvement sur l’impôt sur le revenu est prévu pour les couples mariés, qu'ils aient des enfants ou non, mais basé sur un mode de calcul privilégiant seulement un salaire a temps plein. Non seulement le résultat n'est que de redonner de l'argent a des bourgeois bien payes - éventuellement sans enfants, mais aussi de maintenir loin du marche du travail des femmes bien formées, généralement l'homme ayant un meilleur salaire. Les conservateurs au pouvoir défendent ce dégrèvement (coût budgétaire plus de 20 milliards) au nom de la protection "de la valeur mariage en soi". Nom allemand: Ehegattensplitting.
Le SPD a des positions beaucoup plus féministes et veut enfin garantir la possibilité de concilier carrière et famille. Il est favorable a l'introduction d'un quota minimum (30%) de femmes dans les conseils d'administration des entreprises cotées. Les entreprises avaient promis il y a 5 ans a Merkel de réussir a le faire sans loi, la situation est encore pire maintenant...
Ce sujet a pousse les libéraux, pourtant allies de Merkel mais menaces de disparaitre du parlement, a annoncer vouloir faire campagne contre "la prime au fourneau", une reforme votée sous l'instigation des catholiques bavarois visant a payer les mères pour ne pas aller travailler mais s'occuper de leurs enfants. Le financement de cette prime asséché encore le budget d'investissement en crèches et emplois d'assistants maternels-éducateurs.
juste un exemple: un dégrèvement sur l’impôt sur le revenu est prévu pour les couples mariés, qu'ils aient des enfants ou non, mais basé sur un mode de calcul privilégiant seulement un salaire a temps plein. Non seulement le résultat n'est que de redonner de l'argent a des bourgeois bien payes - éventuellement sans enfants, mais aussi de maintenir loin du marche du travail des femmes bien formées, généralement l'homme ayant un meilleur salaire. Les conservateurs au pouvoir défendent ce dégrèvement (coût budgétaire plus de 20 milliards) au nom de la protection "de la valeur mariage en soi". Nom allemand: Ehegattensplitting.
Le SPD a des positions beaucoup plus féministes et veut enfin garantir la possibilité de concilier carrière et famille. Il est favorable a l'introduction d'un quota minimum (30%) de femmes dans les conseils d'administration des entreprises cotées. Les entreprises avaient promis il y a 5 ans a Merkel de réussir a le faire sans loi, la situation est encore pire maintenant...
La Situation politique au 14
Février 2013 :
Voici le tableau des derniers sondages par instituts et dates de publication
Le sondage le plus récent de Forsa
montre un double phénomène inquiétant pour le SPD :
- Malgré une actualité défavorable, on va y revenir, l'Union électorale
des Chrétiens-démocrates (présents partout sauf en Baviére) et des Catholiques
sociaux bavarois (inversement) progresse de deux points à 43%.
- Le SPD stagne chez Forsa à un niveau bas. D'autres sondages voient le
SPD osciller depuis 6 mois entre 27 et 29%. La tendance principale ici est la
stagnation. Le SPD semble avoir atteint un étiage haut de son potentiel de
conviction, et n'arrive pas à progresser au delà.
- Les Verts ont la même stabilité entre 14 et 15% depuis 6 mois.
Les deux partenaires finissent en
général devant l'Union, sauf dans ce sondage de Forsa, ou la somme SPD-Verts
(39%) reste 4 points au dessous du parti de Merkel.
Un des paris de Merkel pour
conserver le pouvoir, gagner seule la majorité absolue, est en vue : obtenir
seule la majorité absolue. En effet, vu les voix perdues sur des partis non
représentés, il est possible de voir dans les derniers jours de la campagne un
vote des électeurs FDP pour l'Union - pour bloquer la gauche – la propulsant à
45-46% des voix. Avec une somme SPD-Verts-Linke à 45 ou 46% et la force
régionale de l'Union lui permettant de gagner toujours un peu plus de sièges que
ce que lui donnerait son score proportionnel (mécanisme complexe et en partie
inconstitutionnel des « Mandats excédentaires ») la partie est
jouable.
Ce n'est pas la première fois que
les sondages semblent promettre une majorité seule à l'Union. Déjà, au lendemain
pourtant de la victoire du SPD et des verts en Basse-Saxe, les polémiques sur
les déclarations de Peer Steinbrück sur le salaire de la chancelière et son
« bonus d'être une femme » avait ramené le SPD à 25%, l'Union à 43%.
- Les Linke, malgré une grave crise de leadership et une contradiction
fondamentale dans les choix doctrinaux et politiques entre réalistes et
fondamentalistes, surnagent à 6-7%, avec donc la certitude d'être au Bundestag.
- Les Libéraux, alliés de Merkel au gouvernement, se sont effondrés très
rapidement après la prise de pouvoir. Ils ont perdus leur représentations
régionales dans 6 des régions ayant votées entre 2009 et 2012. Les sondages les
donnent en dessous de 5% - la barre minimum pour avoir des députés – constamment
depuis deux ans et demi. Seul un coup de main tactique de l'Union pourrait les
sauver.
- Les Pirates, dépassés par leurs sucés (entrée dans 4 parlements
régionaux entre 2011 et 2012) sont entrés dans une phase de consolidation qui –
ayant lieu de manière transparente devant tout le monde – a dégénéré dans des
conflits pour le pouvoir effrayant les électeurs.
- Ceux-ci cependant ne se sont reportés ni sur les Verts ni sur le SPD. Le
niveau des « divers » reste ainsi constant à 4%. Mais le principal bénéficiaire
des déçus Pirates, c'est l'abstention.
Pourtant, l'actualité n'était pas
en faveur de Merkel :
- Son amie personnelle et Ministre de l’Éducation Annette Schavan a été
obligée de démissionner sur un scandale liée à sa thèse de doctorat écrite il y
a 30 ans.
- Le SPD et les Verts ont annoncé avoir conclu un accord de gestion de la
région de Basse-Saxe, scellant la défaite de la coalition sortante
Conservateurs-Libéraux.
La campagne électorale est marquée
par deux déclarations de coalitions claires :
Officiellement, Merkel souhaite
une reconduction de la coalition Conservateurs-Libéraux.
Le SPD et les Verts veulent former
une coalition ensemble, et seulement ensemble – excluant les Linke de
l'équation.
Le SPD répète ne pas vouloir de
Grande Coalition. Une alliance avec Merkel provoquerait sans doute un nouvel
exil de militants, voire une nouvelle scission.
Les Verts sont prêts théoriquement
à jouer d'une compatibilité « Conservateurs » pour faire pression sur le SPD.
Une tentative analogue à Berlin a failli provoqué une scission des Verts entre
« fraction Latte Macchiato » et « Fundis - Fondamentalistes » (voir plus bas
note de synthèse sur l'année 2011). Merkel et Trittin ensemble ? Peu probable,
mais possible.
Le recours pourrait être le modèle
de Rhénanie du Nord Westphalie, où Hannelore Kraft a gouverné deux ans en
alliance minoritaire avec les Verts, allant chercher des voix soit à droite,
soit aux Linke, avant de gagner haut la main des élections régionales anticipées
en 2012.
Beaucoup auraient aimé la voir se
lancer à la place de Peer Steinbrück. Elle en a eu la fenêtre de tir, mais a
préféré consolider sa position régionale d'abord.
Intuition que le vote de septembre
2013 aboutira à un Bundestag sans majorité claire ? Et elle en recourt
d'Octobre ?
Annexe :
Analyse Allemagne en Janvier 2013,
à la suite de la victoire SPD-Verts en basse-Saxe :
Élections Régionales de
Basse Saxe en Allemagne : une défaite pour Merkel, qui perds la majorité à la
deuxième chambre, mais une victoire en trompe l’œil pour le
SPD.
7 Millions d'Allemands ont voté
dimanche dernier dans la région de Basse Saxe (Capitale Hanovre, c'est aussi la
région de Volkswagen, à Wolfsburg) contre l'alliance régionale des
Chrétiens-Démocrates (CDU, le parti d'Angela Merkel, la chancelière) et des
Libéraux (FDP, les partenaires d'Angela Merkel au niveau national), accordant à
l'alliance des Sociaux-démocrates (SPD) et des Écologistes (Grünen) la plus
faible marge d'avance possible : 69 contre 68 élus au parlement
régional.
Cette élection est l’occasion de faire
un point sur la situation politique allemande à 7 mois des élections, ainsi que
– à l’occasion des 50 ans du traité de l’Élysée – de s’interroger sur l’état des
gauches dans les deux pays, ainsi que de dessiner les contours d’une rénovation
nécessaire de la doctrine social-démocrate européenne.
En France comme en Allemagne, la
question fondamentale pour la gauche est de re-concevoir une social-démocratie
moderne adaptée à un monde de plus en plus radical, formé depuis 15 ans par des
politiques libérales, et traversé de contradictions sociales, écologiques,
démographiques et par conséquent économiques de plus en plus
violentes.
En France, comme en Allemagne, les
deux principaux partis structurant la gauche et l’espace politique de la
social-démocratie, le Parti Socialiste et le SPD, ont profondément rénové leur
doctrine à l’aune de l’exercice du pouvoir à la fin des années 90, dans un monde
alors très différent. Depuis, la réflexion s’est orientée sur les clivages et
conflits internes à ces partis, ayant conduit en Allemagne en 2005 avec les
Linke et en France, en 2005 au sein du PS avec le référendum sur l’Europe puis
en 2008 avec la création du Front de Gauche à des scissions, un temps
électoralement gagnantes mais en définitive stériles dans leur influence sur le
monde réel.
Les barrières et les œillères sont
posées par ces deux positionnements. Ils empêchent la gauche réformiste à penser
le monde tel qu’il est, à prendre conscience des énormes défis devant nous, mais
aussi de l’énorme responsabilité que notre famille politique porte. Ils ont
aussi, et cela est aussi grave, contribué à l’absence de renouvellement
générationnel et programmatique. Les concepteurs de la vulgate social-démocrate
de la fin des années 90 – début des années 2000 sont toujours ceux dominant les
partis sociaux-démocrates français et allemands au début des années 2010.
Pourtant, depuis 2002, avec une
grande constance, la pratique politique comme les offres programmatiques basées
sur cette vulgate ont été refusés par les électeurs. La reconquête du pouvoir
par François Hollande, l’un des responsables de la doctrine des années 90
elle-même largement issue des Deloriens, s’est faite sur une offre
programmatique beaucoup plus engagée et audacieuse que la pratique
gouvernementale actuelle. Le congrès de Toulouse illustre bien cette recherche
d’une rénovation des concepts et de la vision du monde, avec 30% des militants
ne se reconnaissant pas dans le projet porté par toute la direction, juste après
une victoire historique.
Les difficultés du candidat actuel
du SPD Peer Steinbrück, l’un des penseurs du tournant social-libéral du SPD avec
Gerhard Schröder, en est une autre illustration.
Cette élection a des conséquences
nationales immédiates : le Bundesrat, la deuxième chambre allemande représentant
les régions, passe à gauche. Angela Merkel ne pourra lancer d'ici aux élections
de septembre 2013 – et en cas de victoire de la droite, au delà – aucune réforme
d'envergure sans l'accord du SPD.
Cette situation politique est en
Allemagne assez courante. Ainsi, dés 1999, la majorité parlementaire SPD-Verts
élue en 98 eut à négocier avec une chambre des régions passée à droite. C’est
cependant nouveau pour Angela Merkel, qui n’a jusqu’à présent jamais vraiment eu
à négocier avec l’opposition.
La Basse Saxe a produit une grande
génération de loosers politiques, malheureusement surtout à gauche.
Pour parler d'histoire récente,
c'est là que Gerhard Schröder, le chancelier SPD entre 1998 et 2005, a construit
sa carrière politique, avant de la poursuivre, une fois battu par Angela Merkel,
comme lobbyiste de Gazprom et ami de Vladimir Poutine.
C'est là que son directeur de
cabinet puis successeur à la tête du SPD, Franz-Walter Steinmeier, a commencé sa
carrière politique. Ministre des Affaires Étrangères dans le cabinet de « Grande
Coalition » sous Merkel entre 2005 et 2009, Steinmeier est aujourd'hui le
président du groupe parlementaire d'opposition SPD au Bundestag, la première
assemblée allemande. Sa campagne en 2009 a conduit le SPD au pire score de son
histoire avec seulement 23%.
Sigmar Gabriel, l'actuel président
du SPD, perdit la région à la droite dans l'élection de 2003, première grande
défaite régionale pour un SPD secoué par le tournant pris par Schröder avec
« l'agenda 2010 », annonciatrice de déroutes électorales encore plus fortes. Cet
agenda introduisait une série de « réformes » structurelles, combinées avec les
4 réformes « Harz » - du nom d’un ancien DRH de Volkswagen, encore la Basse
Saxe, qui conseilla la coalition SPD-Verts pour déréguler le marché du travail,
développer les temps partiels et contrats précaires, unifier le système
d'assurance chômage et d'aides sociales. Cela imposa aux « petits salaires » et
faiblement qualifiés une modération salariale souvent confondue en France avec
une stratégie de compétitivité.
Gabriel perdit la région face à
Christian Wulff, CDU, qui s'allia avec les libéraux du FDP. Wulff devait
conserver la région jusqu'en 2010. Membre de l'alliance dite du « Pacte Andin »
rassemblant des hommes politiques de la CDU et de leurs alliés bavarois CSU dans
un pacte de non-agression réciproque conclu au cours d'un voyage d'étude de
Jeunes Conservateurs dans les Andes dans les années 70, Wulff apparut comme le
dernier concurrent potentiel d'Angela Merkel à droite. Celle-ci le fit élire
Président de la République en 2010. Ce fut l'une des rares erreurs tactiques de
la chancelière – une série de scandales liés aux relations troubles de Wulff
avec des hommes d'affaires douteux de Hanovre et ses tentatives pour empêcher la
presse d'en parler devait le mener à la démission début 2012, entrainant
l'élection comme Président du candidat proposé par le SPD et les Verts déjà en
2010.
Bien sûr, nous souhaitons au
probable futur président de la région, Stephan Weil, d'échapper à ce destin
fatal à ces prédécesseurs ! Avec seulement une voix de majorité, et un
partenaire Vert particulièrement gonflé à bloc par ses 14%, Stephan Weil va
devoir faire preuve de beaucoup d'habileté et de sens politique.
La situation politique allemande
est actuellement marquée par une série de crises et de climax au sein de tous
les partis – à l’exception de celui d’Angela Merkel.
Le SPD doute à haute voix de son
candidat, les Verts sont traversés par des contradictions entre une base
libertaire écologiste et une nouvelle génération « Bobo », les Linke sont en
voie de disparaître suite à des batailles incompréhensibles entre ses dirigeants
et une doctrine tellement fixée sur les années Schröder qu'elle en oublie les
années Merkel, les libéraux en voie de disparition dans toutes les régions
perdent leur sang-froid et remettent en cause leur direction tous les trois
mois.
Les études d'opinion enregistrent
un phénomène particulier : après prés de 6 mois de relative stabilité, avec une
Union (Merkel) à 37%, un SPD à 28%, des Verts à 13%, les Linke (le Front de
Gauche allemand) à 6% et tous les autres partis en dessous des 5% pour être
représenté au Bundestag, les rapports de force recommencent à bouger. Si les
Linke restent très bas, à 5% de leurs résultats, les Verts stagnent, mais le SPD
s'effondre continuellement depuis la mi-décembre, avec l'Union qui monte, monte,
monte.
Aujourd’hui, pour la première fois
depuis les élections de 2009, le SPD est de retour à 23%. L'Union, elle, culmine
à 43%.
Deux facteurs expliquent cette envolée de l'Union: l’éthique de travail
de Merkel est incontestable, et cela a donne de la crédibilité à l’invention de
son image de sauveuse et protectrice des intérêts allemands au cœur de la crise
européenne, notamment contre des pays du Sud peints comme corrompus et
irréformables.
Angela Merkel est d’une éthique
personnelle irréprochable. La mystification consiste à faire croire que cette
éthique, automatiquement, rends sa conduite du gouvernement aussi morale. C’est
d’ailleurs la contradiction profonde qui menace l’union dans une
campagne.
La deuxième raison, c'est l'état du
SPD en campagne. Le SPD a fait une erreur stratégique fondamentale. Peer
Steinbrück est devenu le candidat après avoir été plébiscité par les sondages et
les médias. Les militants n'ont pas eu droit à s'exprimer. Il faut dire qu'au
cours du congrès de Berlin de Décembre 2011 – où François Hollande était invité
en tant que candidat – les délégués mirent plusieurs secondes à commencer à
applaudir Peer après son discours – il fallut que d'autres dirigeants viennent
le rejoindre sur l'estrade. Mieux valait éviter de leur demander de choisir, par
un vote de la base ou des primaires. Abusé par ces sondages si favorables à la
personne, le SPD choisit de le mettre au cœur de la campagne, de lui donner une
« liberté de jambes » pour s'exprimer au delà du projet social-démocrate. Peer
fut rapidement attaqué par ces médias qui l'avaient adoré, avec des dossiers
bien préparés à l'avance, sur son habitus de bourgeois aisé, de vendeur de
conférences aux entreprises à plus d'un million d'€ de revenus en plus de ses
indemnités de parlementaire, de lobbyiste présumé pour les entreprises – Thyssen
Krupp par exemple – où il siège au conseil d'administration.
Quelle naïveté de la part du SPD.
Surtout, quelle paresse intellectuelle et peur conservatrice de la part de sa
direction ! Sigmar Gabriel, qui reconstruisit un SPD à la dérive – un cadavre à
la renverse allemand – depuis 2009, sut lui redonner un programme de gauche, une
perspective d'alliances avec les Verts, une efficacité électorale lui permettant
de regagner des exécutifs régionaux. Mais Gabriel n'a pas réussi à réformer le
mode de fonctionnement du SPD. Le vote des militants n'est toujours pas
introduit – sans parler de primaires. Le SPD n'attire pas, ne fait pas envie, et
se fait déborder sur sa droite bourgeoise par les Verts, sur sa gauche jeune par
les Pirates. Sa base militante, passée de 800 000 en 2002 à moins de 500 000
aujourd'hui, en moyenne de plus de 60 ans, commence à disparaître pour
toujours.
Les résultats en Basse Saxe agissent
comme un électrochoc : la CDU, avec 36%, fait mieux que ce que les sondages
prévoyaient depuis plusieurs semaines. Le SPD, à 32%, progresse un peu (+2%),
les Verts explosent avec 14%, et les libéraux, que tous les sondages voyaient
disparaître à 3%, bénéficie d'un cadeau de la CDU de 100 000 voix pour atteindre
9,9% ! Au lieu de voir une assemblée CDU avec 40% des sièges et l'alliance
SPD-Verts à 60%, Stephan Weil doit composer avec un seul siège de
majorité.
La direction du SPD a décidé de
renverser les rôles : le Parti doit être mis en avant, Peer passer en retrait,
et épouser le projet commun. Un « discours de Bercy » est encore attendu. Il
sera nécessaire pour relancer une campagne mal engagée.
30 janvier 2013
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