jeudi 21 février 2013

Allemagne: la situation mi-Février


La situation macro-économique et sociale

La publication des chiffres de la croissance au quatrième trimestre 2012 a paradoxalement à leur caractère alarmant provoqué très peu de débats et de prises de position en Allemagne.

Pourtant, avec un recul de - 0,6%, la dégradation de la conjoncture est 0,2% plus mauvaise que prévu en décembre, et encore 0,1% par rapport à des corrections établies en janvier.

Tous les observateurs ont décidé de se rallier à l'explication officielle de l'institut des statistiques gouvernementales, le DIW : le dernier trimestre 2012 a vu un gros trou d'air sans conséquence. Le climat des affaires s'est depuis amélioré, avec l'indice de confiance des entrepreneurs ayant progressé ces derniers trois mois, les mesures prises de consolidation budgétaire en Europe vont porter leurs fruits en 2013, relançant les exportations allemandes vers ses partenaires européens, et la croissance du commerce mondial va reprendre son ampleur de 2011, achevant de tirer vers le haut la conjoncture allemande.

C'est ce narratif que montre le tableau suivant :



Évolution du PIB Allemand depuis 2008 et perspectives pour 2013, en indice 100 = 2005, et en PIB corrigé de l'inflation:



Pourtant, beaucoup des suppositions attachées à ce narratif macro-économique ont été infirmées :

Le recul de la croissance en Eurozone à 0,6% est plus fort que prévu, avec les pays les plus touchés par les politiques de consolidation budgétaire plongeant toujours aussi rapidement (Grèce – 6%, Portugal -3,2%, Italie -0,9%) et l'économie française – toujours premier importateur de biens allemands - avec un recul de 0,3% et une croissance nulle en 2012 ne donne pas de signes de frémissements. Au contraire, l'objectif annoncé de 3% de déficit budgétaire est maintenant clairement illusoire, à moins que le gouvernement Ayrault et son ministre Moscovici ne prennent des mesures de consolidation budgétaire encore plus radicales, touchant plus fortement les dépenses. Le coup à la croissance – et donc aux importations d'Allemagne – serait fatal.

Si Francois Hollande montre depuis quelques jours une volonté plus forte de réorienter le priorité gouvernementale sur l'emploi et l'économie, notamment après la phase sociétale et le Mali, il n'est pas sûr que son équipe gouvernementale soit outillée doctrinalement et techniquement pour lancer un plan de relance, mettant donc encore en péril ce narratif du gouvernement allemand.

Par ailleurs, les projections sur le commerce mondial dépendent en grande partie d'externalités encore bien incertaines : les évolutions des économies américaines et chinoises.

Pour mémoire, les mêmes statisticiens avaient le narratif suivant en décembre 2011 :



Un trou d'air en Q4 2011 fut tout simplement oublié, les perspectives sur 2012 étaient positives avec une amélioration progressive et constante de la conjoncture. 2012 a vu en réalité l'inverse : après un rebond au premier trimestre, la conjoncture ne cessa de se dégrader.

Le narratif du DIW, soutenu par les économistes d'Allianz et des instituts proches du patronat ressemblent donc bien à des vœux (auto-prophétiques?) plus qu'à une analyse sérieuse des risques pour l'Allemagne en 2013.

D'ailleurs, les nouvelles fin Janvier – début Février montrent bien qu'un moteur de croissance s'est cassé. Alors que l'Allemagne avait été jusque là épargnée, une vague de plans de licenciements massifs ont été annoncés ces derniers temps :

- La filière solaire, sinistrée, a perdu plus de 30 000 emplois en 2012

- La filière des services, malgré des salaires très faibles et l'absence de SMIC, a vu disparaître plusieurs groupes de distribution – par exemple Schlecker avec ses 5000 salariés, à 90% femmes à temps partiels.

- Le secteur des NTIC est aussi touché : HP ferme un site avec 1000 emplois supprimés, Dell également. Fujitsu Technology, l'ancien Fujitsu-Siemens et héritier de Siemens-Nixdorf, annonce 1500 suppression d'emplois.

- Siemens annonce la vente ou la fermeture de plusieurs divisions, dont celle solaire, et prés de

10 000 suppressions de postes à l'international.

- Le secteur automobile est à son tour touché, avec Opel devant fermer un site industriel.

- Thyssen-Krupp annonce au moins 2000 suppressions d'emplois

- Ces vagues annoncent aussi une réduction des investissements et des négociations plus serrées avec le réseau de PME familiales fournisseuses : toute une série de ses entreprises entre 500 et 5000 salariés annoncent des restructurations avec suppression de postes depuis trois mois.

- Tous les vendeurs de biens d'équipement, informatiques ou non, remarquent aussi un allongement de la durée d'utilisation des équipements au delà des dates de garantie et/ou d'amortissements afin de retarder le renouvellement des parcs, et un assèchement des investissements publics.

- Par ailleurs, de nombreuses renégociations salariales de branche ont commencé, et l'arme des licenciements est employée par les patronats contre les syndicats pour obtenir des accords de modération salariale, plombant encore plus les perspectives de croissance de la demande intérieure.

- Enfin, quasiment toutes les entreprises ont actuellement des plans de gel des embauches, ne recrutant que des profils très spécialisés à l'occasion de remplacements.

 
Cette phase de restructuration n'est pas une réponse à un trou d'air conjoncturel. L'arme du chômage partiel avec compensation salariale payée par l'agence de l'emploi aux salariés n'est cette fois pas utilisée, les entreprises ne prévoyant elles pas de retour de la croissance à court terme. Nous ne sommes donc pas dans une situation comparable à 2008.

Il s'agit de transformations profondes des entreprises, à l'occasion d'un effondrement de leurs carnets de commande, d'une transformation de leurs marchés. Les plans entrainent aussi une augmentation de l'épargne de précaution des ménages. La demande intérieure ne prendra pas le relais des investissements privés, ni des dépenses publiques en baisse.

La tendance est claire pour l'économie allemande en 2013, elle va vers le bas. On en saura cependant plus le 22 Février avec la publication de l'indice de confiance des industriels allemands.

L'emploi et le pouvoir d'achat

 Ce tableau montre à gauche (bleu) l'évolution comparée des revenus nominaux (hors inflation) du capital (en haut, valeur 150,6 en index 100 = 2000 fin 2012) et du travail (en bas, valeur 123,8 en index 100 = 2000 fin 2012).

Le tableau de droite (rouge) montre l'évolution des salaires bruts réels (corrigés de l'inflation, base 100 = 2000), avec en haut le sous-groupe des salaires soumis à accords de branche et en bas l'intégralité des salaires, y compris ceux soumis à accords de branche.

Textfeld:  Étude de l'institut WSI, proche des syndicats: L'écart reste large entre revenus du capital et du travail. Les revenus du Capital sont déconnectés des revenus du travail, avec une croissance plus que double. Les revenus salariés totaux restent en 2012, malgré 3 ans de rattrapage, inférieurs à leur niveau de 2000 !
L’Allemagne bénéficie encore d'une situation du marché de l'emploi enviable, avec un taux officiel de chômage à 6,5% en Décembre.  Cependant, cette situation est marquée par des déséquilibres régionaux très forts, expliquant en partie les difficultés de Merkel avec son allié catholique bavarois, la CSU. De plus, les chiffres bruts de Janvier montrent une dégradation forte avec 288 000 chômeurs de plus, avec un taux repassant au dessus de 7%. Certes, les chiffres corrigés de variations saisonniéres sont plus encourageants.

Tableau suivant : plus c'est fuchsia, moins il y a de chômage.




Le Sud de l'Allemagne bénéficie d'un quasi-plein emploi à 3% de chômage, l'Ouest est dans la moyenne avec des zones cependant sinistrées, notamment dans les bassins miniers rhénans, et l'Est – incluant Berlin, région au plus fort taux de chômage d'Allemagne – dépasse en général les 10%.

Le taux d'Actifs touchant des allocations chômage et/ou sociales atteint ainsi les 9,8% - de nombreux salariés, par exemple de mini-jobs, ont besoin d'allocations chômage pour atteindre le niveau de revenu de Hartz IV – l'équivalent du RSA français. Ces emplois sont subventionnés par le système d'assurance chômage.


Ces chiffres cependant ne prennent pas en cause toute la population en âge de travailler non répertorié comme actifs. Le taux d'inactivité en Allemagne de l'Est et dans les bassins de pauvreté rhénans frôle les 20 à 25%. Le taux de pauvreté d'ailleurs augmente depuis 6 ans avec constance. Une étude récente d'un institut proche des organisations caritatives soulignait que prés d'un salarié sur six était sous la menace un jour de passer sous le seuil de pauvreté.




Le tableau suivant, produit par les organisations caritatives paritaires (regroupant toutes les organisations, issues des églises et laïques) en 2012, montre l'évolution de la pauvreté en Allemagne depuis 2005. Alors que le taux de chômage passe de 11,7% à 7,1% (maintenant 6,5%) et le taux de bénéficiaires d'allocations chômage de 10,3 à 9,8%, le taux de pauvreté a augmenté de 14,7% à 15,1%, avec une accélération depuis 2010.


C'est de nouveau la confirmation que la « thèse de la cascade » ne fonctionne pas : la prospérité ne redescend pas lorsqu'on la partage par le haut. Pire, même des politiques ayant eu pour objet de réduire le chômage à tout prix pour augmenter les conditions de vie en bas de l'échelle sociale échouent.


La situation est tellement grave que le gouvernement de Angela Merkel, sous la pression des libéraux, a retardé la publication de son rapport officiel sur la pauvreté et en a censuré certaines conclusions.

Suivant maintenant une logique bien rodée, alors que c'est bien la méthode de gouvernement d'Angela Merkel qui est en cause, l'opprobre tomba sur d'autres, ici le ministre de l’Économie et chef nominal des libéraux Philip Rösler.


Cependant, ces données expliquent pourquoi le SPD et Peer Steinbrück souhaitent mettre la Justice Sociale au cœur de la campagne (cf note sur le congrès de décembre 2012 en annexe. La note sur le congrès de 2011 est également attachée en référence).


La Politique de la Famille au cœur des critiques :


Le grand sujet politique des derniers jours fut la politique de la famille. Un rapport administratif d'évaluation des politiques publiques a souligne l'échec complet et l'incroyable gaspillage des politiques familiales, qui promeut a la fois une vision passéiste de la famille, traditionnelle de la place de la femme, et inégalitaire socialement. Et l'échec démographique est également patent, a l'origine de la reforme de l'âge de départ a la retraite a 67 ans, reforme co-conçue par Peer a l'époque de la Grande Coalition et depuis remise en cause par le SPD sous la pression de son aile gauche (PL, parlementarische Linke, gauche parlementaire, le sous-groupe de 23 députés au sein du SPD a avoir vote contre le TSCG et a avoir signe la contribution UMA a mon initiative en juillet dernier).
Ce sujet a pousse les libéraux, pourtant allies de Merkel mais menaces de disparaitre du parlement, a annoncer vouloir faire campagne contre "la prime au fourneau", une reforme votée sous l'instigation des catholiques bavarois visant a payer les mères pour ne pas aller travailler mais s'occuper de leurs enfants. Le financement de cette prime asséché encore le budget d'investissement en crèches et emplois d'assistants maternels-éducateurs.
juste un exemple: un dégrèvement sur l’impôt sur le revenu est prévu pour les couples mariés, qu'ils aient des enfants ou non, mais basé sur un mode de calcul privilégiant seulement un salaire a temps plein. Non seulement le résultat n'est que de redonner de l'argent a des bourgeois bien payes - éventuellement sans enfants, mais aussi de maintenir loin du marche du travail des femmes bien formées, généralement l'homme ayant un meilleur salaire. Les conservateurs au pouvoir défendent ce dégrèvement (coût budgétaire plus de 20 milliards) au nom de la protection "de la valeur mariage en soi". Nom allemand: Ehegattensplitting.
Le SPD a des positions beaucoup plus féministes et veut enfin garantir la possibilité de concilier carrière et famille. Il est favorable a l'introduction d'un quota minimum (30%) de femmes dans les conseils d'administration des entreprises cotées. Les entreprises avaient promis il y a 5 ans a Merkel de réussir a le faire sans loi, la situation est encore pire maintenant...
La Situation politique au 14 Février 2013 :

 

Voici le tableau des derniers sondages par instituts et dates de publication


Le sondage le plus récent de Forsa montre un double phénomène inquiétant pour le SPD :

- Malgré une actualité défavorable, on va y revenir, l'Union électorale des Chrétiens-démocrates (présents partout sauf en Baviére) et des Catholiques sociaux bavarois (inversement) progresse de deux points à 43%.

- Le SPD stagne chez Forsa à un niveau bas. D'autres sondages voient le SPD osciller depuis 6 mois entre 27 et 29%. La tendance principale ici est la stagnation. Le SPD semble avoir atteint un étiage haut de son potentiel de conviction, et n'arrive pas à progresser au delà.

- Les Verts ont la même stabilité entre 14 et 15% depuis 6 mois.

Les deux partenaires finissent en général devant l'Union, sauf dans ce sondage de Forsa, ou la somme SPD-Verts (39%) reste 4 points au dessous du parti de Merkel.

Un des paris de Merkel pour conserver le pouvoir, gagner seule la majorité absolue, est en vue : obtenir seule la majorité absolue. En effet, vu les voix perdues sur des partis non représentés, il est possible de voir dans les derniers jours de la campagne un vote des électeurs FDP pour l'Union - pour bloquer la gauche – la propulsant à 45-46% des voix. Avec une somme SPD-Verts-Linke à 45 ou 46% et la force régionale de l'Union lui permettant de gagner toujours un peu plus de sièges que ce que lui donnerait son score proportionnel (mécanisme complexe et en partie inconstitutionnel des « Mandats excédentaires ») la partie est jouable.

Ce n'est pas la première fois que les sondages semblent promettre une majorité seule à l'Union. Déjà, au lendemain pourtant de la victoire du SPD et des verts en Basse-Saxe, les polémiques sur les déclarations de Peer Steinbrück sur le salaire de la chancelière et son « bonus d'être une femme » avait ramené le SPD à 25%, l'Union à 43%.


- Les Linke, malgré une grave crise de leadership et une contradiction fondamentale dans les choix doctrinaux et politiques entre réalistes et fondamentalistes, surnagent à 6-7%, avec donc la certitude d'être au Bundestag.

- Les Libéraux, alliés de Merkel au gouvernement, se sont effondrés très rapidement après la prise de pouvoir. Ils ont perdus leur représentations régionales dans 6 des régions ayant votées entre 2009 et 2012. Les sondages les donnent en dessous de 5% - la barre minimum pour avoir des députés – constamment depuis deux ans et demi. Seul un coup de main tactique de l'Union pourrait les sauver.

- Les Pirates, dépassés par leurs sucés (entrée dans 4 parlements régionaux entre 2011 et 2012) sont entrés dans une phase de consolidation qui – ayant lieu de manière transparente devant tout le monde – a dégénéré dans des conflits pour le pouvoir effrayant les électeurs.

- Ceux-ci cependant ne se sont reportés ni sur les Verts ni sur le SPD. Le niveau des « divers » reste ainsi constant à 4%. Mais le principal bénéficiaire des déçus Pirates, c'est l'abstention.


Pourtant, l'actualité n'était pas en faveur de Merkel :

- Son amie personnelle et Ministre de l’Éducation Annette Schavan a été obligée de démissionner sur un scandale liée à sa thèse de doctorat écrite il y a 30 ans.

- Le SPD et les Verts ont annoncé avoir conclu un accord de gestion de la région de Basse-Saxe, scellant la défaite de la coalition sortante Conservateurs-Libéraux.


La campagne électorale est marquée par deux déclarations de coalitions claires :

Officiellement, Merkel souhaite une reconduction de la coalition Conservateurs-Libéraux.

Le SPD et les Verts veulent former une coalition ensemble, et seulement ensemble – excluant les Linke de l'équation.

Le SPD répète ne pas vouloir de Grande Coalition. Une alliance avec Merkel provoquerait sans doute un nouvel exil de militants, voire une nouvelle scission.

Les Verts sont prêts théoriquement à jouer d'une compatibilité « Conservateurs » pour faire pression sur le SPD. Une tentative analogue à Berlin a failli provoqué une scission des Verts entre « fraction Latte Macchiato » et « Fundis - Fondamentalistes » (voir plus bas note de synthèse sur l'année 2011). Merkel et Trittin ensemble ? Peu probable, mais possible.


Le recours pourrait être le modèle de Rhénanie du Nord Westphalie, où Hannelore Kraft a gouverné deux ans en alliance minoritaire avec les Verts, allant chercher des voix soit à droite, soit aux Linke, avant de gagner haut la main des élections régionales anticipées en 2012.

Beaucoup auraient aimé la voir se lancer à la place de Peer Steinbrück. Elle en a eu la fenêtre de tir, mais a préféré consolider sa position régionale d'abord.

Intuition que le vote de septembre 2013 aboutira à un Bundestag sans majorité claire ? Et elle en recourt d'Octobre ?

Annexe :

Analyse Allemagne en Janvier 2013, à la suite de la victoire SPD-Verts en basse-Saxe :


Élections Régionales de Basse Saxe en Allemagne : une défaite pour Merkel, qui perds la majorité à la deuxième chambre, mais une victoire en trompe l’œil pour le SPD.



7 Millions d'Allemands ont voté dimanche dernier dans la région de Basse Saxe (Capitale Hanovre, c'est aussi la région de Volkswagen, à Wolfsburg) contre l'alliance régionale des Chrétiens-Démocrates (CDU, le parti d'Angela Merkel, la chancelière) et des Libéraux (FDP, les partenaires d'Angela Merkel au niveau national), accordant à l'alliance des Sociaux-démocrates (SPD) et des Écologistes (Grünen) la plus faible marge d'avance possible : 69 contre 68 élus au parlement régional.


Cette élection est l’occasion de faire un point sur la situation politique allemande à 7 mois des élections, ainsi que – à l’occasion des 50 ans du traité de l’Élysée – de s’interroger sur l’état des gauches dans les deux pays, ainsi que de dessiner les contours d’une rénovation nécessaire de la doctrine social-démocrate européenne.


En France comme en Allemagne, la question fondamentale pour la gauche est de re-concevoir une social-démocratie moderne adaptée à un monde de plus en plus radical, formé depuis 15 ans par des politiques libérales, et traversé de contradictions sociales, écologiques, démographiques et par conséquent économiques de plus en plus violentes.

En France, comme en Allemagne, les deux principaux partis structurant la gauche et l’espace politique de la social-démocratie, le Parti Socialiste et le SPD, ont profondément rénové leur doctrine à l’aune de l’exercice du pouvoir à la fin des années 90, dans un monde alors très différent. Depuis, la réflexion s’est orientée sur les clivages et conflits internes à ces partis, ayant conduit en Allemagne en 2005 avec les Linke et en France, en 2005 au sein du PS avec le référendum sur l’Europe puis en 2008 avec la création du Front de Gauche à des scissions, un temps électoralement gagnantes mais en définitive stériles dans leur influence sur le monde réel.

Les barrières et les œillères sont posées par ces deux positionnements. Ils empêchent la gauche réformiste à penser le monde tel qu’il est, à prendre conscience des énormes défis devant nous, mais aussi de l’énorme responsabilité que notre famille politique porte. Ils ont aussi, et cela est aussi grave, contribué à l’absence de renouvellement générationnel et programmatique. Les concepteurs de la vulgate social-démocrate de la fin des années 90 – début des années 2000 sont toujours ceux dominant les partis sociaux-démocrates français et allemands au début des années 2010.

Pourtant, depuis 2002, avec une grande constance, la pratique politique comme les offres programmatiques basées sur cette vulgate ont été refusés par les électeurs. La reconquête du pouvoir par François Hollande, l’un des responsables de la doctrine des années 90 elle-même largement issue des Deloriens, s’est faite sur une offre programmatique beaucoup plus engagée et audacieuse que la pratique gouvernementale actuelle. Le congrès de Toulouse illustre bien cette recherche d’une rénovation des concepts et de la vision du monde, avec 30% des militants ne se reconnaissant pas dans le projet porté par toute la direction, juste après une victoire historique.

Les difficultés du candidat actuel du SPD Peer Steinbrück, l’un des penseurs du tournant social-libéral du SPD avec Gerhard Schröder, en est une autre illustration.


Cette élection a des conséquences nationales immédiates : le Bundesrat, la deuxième chambre allemande représentant les régions, passe à gauche. Angela Merkel ne pourra lancer d'ici aux élections de septembre 2013 – et en cas de victoire de la droite, au delà – aucune réforme d'envergure sans l'accord du SPD.

Cette situation politique est en Allemagne assez courante. Ainsi, dés 1999, la majorité parlementaire SPD-Verts élue en 98 eut à négocier avec une chambre des régions passée à droite. C’est cependant nouveau pour Angela Merkel, qui n’a jusqu’à présent jamais vraiment eu à négocier avec l’opposition.


La Basse Saxe a produit une grande génération de loosers politiques, malheureusement surtout à gauche.

Pour parler d'histoire récente, c'est là que Gerhard Schröder, le chancelier SPD entre 1998 et 2005, a construit sa carrière politique, avant de la poursuivre, une fois battu par Angela Merkel, comme lobbyiste de Gazprom et ami de Vladimir Poutine.

C'est là que son directeur de cabinet puis successeur à la tête du SPD, Franz-Walter Steinmeier, a commencé sa carrière politique. Ministre des Affaires Étrangères dans le cabinet de « Grande Coalition » sous Merkel entre 2005 et 2009, Steinmeier est aujourd'hui le président du groupe parlementaire d'opposition SPD au Bundestag, la première assemblée allemande. Sa campagne en 2009 a conduit le SPD au pire score de son histoire avec seulement 23%.

Sigmar Gabriel, l'actuel président du SPD, perdit la région à la droite dans l'élection de 2003, première grande défaite régionale pour un SPD secoué par le tournant pris par Schröder avec « l'agenda 2010 », annonciatrice de déroutes électorales encore plus fortes. Cet agenda introduisait une série de « réformes » structurelles, combinées avec les 4 réformes « Harz » - du nom d’un ancien DRH de Volkswagen, encore la Basse Saxe, qui conseilla la coalition SPD-Verts pour déréguler le marché du travail, développer les temps partiels et contrats précaires, unifier le système d'assurance chômage et d'aides sociales. Cela imposa aux « petits salaires » et faiblement qualifiés une modération salariale souvent confondue en France avec une stratégie de compétitivité.

Gabriel perdit la région face à Christian Wulff, CDU, qui s'allia avec les libéraux du FDP. Wulff devait conserver la région jusqu'en 2010. Membre de l'alliance dite du « Pacte Andin » rassemblant des hommes politiques de la CDU et de leurs alliés bavarois CSU dans un pacte de non-agression réciproque conclu au cours d'un voyage d'étude de Jeunes Conservateurs dans les Andes dans les années 70, Wulff apparut comme le dernier concurrent potentiel d'Angela Merkel à droite. Celle-ci le fit élire Président de la République en 2010. Ce fut l'une des rares erreurs tactiques de la chancelière – une série de scandales liés aux relations troubles de Wulff avec des hommes d'affaires douteux de Hanovre et ses tentatives pour empêcher la presse d'en parler devait le mener à la démission début 2012, entrainant l'élection comme Président du candidat proposé par le SPD et les Verts déjà en 2010.

Bien sûr, nous souhaitons au probable futur président de la région, Stephan Weil, d'échapper à ce destin fatal à ces prédécesseurs ! Avec seulement une voix de majorité, et un partenaire Vert particulièrement gonflé à bloc par ses 14%, Stephan Weil va devoir faire preuve de beaucoup d'habileté et de sens politique.


La situation politique allemande est actuellement marquée par une série de crises et de climax au sein de tous les partis – à l’exception de celui d’Angela Merkel.

Le SPD doute à haute voix de son candidat, les Verts sont traversés par des contradictions entre une base libertaire écologiste et une nouvelle génération « Bobo », les Linke sont en voie de disparaître suite à des batailles incompréhensibles entre ses dirigeants et une doctrine tellement fixée sur les années Schröder qu'elle en oublie les années Merkel, les libéraux en voie de disparition dans toutes les régions perdent leur sang-froid et remettent en cause leur direction tous les trois mois.

Les études d'opinion enregistrent un phénomène particulier : après prés de 6 mois de relative stabilité, avec une Union (Merkel) à 37%, un SPD à 28%, des Verts à 13%, les Linke (le Front de Gauche allemand) à 6% et tous les autres partis en dessous des 5% pour être représenté au Bundestag, les rapports de force recommencent à bouger. Si les Linke restent très bas, à 5% de leurs résultats, les Verts stagnent, mais le SPD s'effondre continuellement depuis la mi-décembre, avec l'Union qui monte, monte, monte.

Aujourd’hui, pour la première fois depuis les élections de 2009, le SPD est de retour à 23%. L'Union, elle, culmine à 43%.

Deux facteurs expliquent cette envolée de l'Union: l’éthique de travail de Merkel est incontestable, et cela a donne de la crédibilité à l’invention de son image de sauveuse et protectrice des intérêts allemands au cœur de la crise européenne, notamment contre des pays du Sud peints comme corrompus et irréformables.

Angela Merkel est d’une éthique personnelle irréprochable. La mystification consiste à faire croire que cette éthique, automatiquement, rends sa conduite du gouvernement aussi morale. C’est d’ailleurs la contradiction profonde qui menace l’union dans une campagne.

La deuxième raison, c'est l'état du SPD en campagne. Le SPD a fait une erreur stratégique fondamentale. Peer Steinbrück est devenu le candidat après avoir été plébiscité par les sondages et les médias. Les militants n'ont pas eu droit à s'exprimer. Il faut dire qu'au cours du congrès de Berlin de Décembre 2011 – où François Hollande était invité en tant que candidat – les délégués mirent plusieurs secondes à commencer à applaudir Peer après son discours – il fallut que d'autres dirigeants viennent le rejoindre sur l'estrade. Mieux valait éviter de leur demander de choisir, par un vote de la base ou des primaires. Abusé par ces sondages si favorables à la personne, le SPD choisit de le mettre au cœur de la campagne, de lui donner une « liberté de jambes » pour s'exprimer au delà du projet social-démocrate. Peer fut rapidement attaqué par ces médias qui l'avaient adoré, avec des dossiers bien préparés à l'avance, sur son habitus de bourgeois aisé, de vendeur de conférences aux entreprises à plus d'un million d'€ de revenus en plus de ses indemnités de parlementaire, de lobbyiste présumé pour les entreprises – Thyssen Krupp par exemple – où il siège au conseil d'administration.

Quelle naïveté de la part du SPD. Surtout, quelle paresse intellectuelle et peur conservatrice de la part de sa direction ! Sigmar Gabriel, qui reconstruisit un SPD à la dérive – un cadavre à la renverse allemand – depuis 2009, sut lui redonner un programme de gauche, une perspective d'alliances avec les Verts, une efficacité électorale lui permettant de regagner des exécutifs régionaux. Mais Gabriel n'a pas réussi à réformer le mode de fonctionnement du SPD. Le vote des militants n'est toujours pas introduit – sans parler de primaires. Le SPD n'attire pas, ne fait pas envie, et se fait déborder sur sa droite bourgeoise par les Verts, sur sa gauche jeune par les Pirates. Sa base militante, passée de 800 000 en 2002 à moins de 500 000 aujourd'hui, en moyenne de plus de 60 ans, commence à disparaître pour toujours.


Les résultats en Basse Saxe agissent comme un électrochoc : la CDU, avec 36%, fait mieux que ce que les sondages prévoyaient depuis plusieurs semaines. Le SPD, à 32%, progresse un peu (+2%), les Verts explosent avec 14%, et les libéraux, que tous les sondages voyaient disparaître à 3%, bénéficie d'un cadeau de la CDU de 100 000 voix pour atteindre 9,9% ! Au lieu de voir une assemblée CDU avec 40% des sièges et l'alliance SPD-Verts à 60%, Stephan Weil doit composer avec un seul siège de majorité.


La direction du SPD a décidé de renverser les rôles : le Parti doit être mis en avant, Peer passer en retrait, et épouser le projet commun. Un « discours de Bercy » est encore attendu. Il sera nécessaire pour relancer une campagne mal engagée.


30 janvier 2013


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